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Le Blog de Voltaire

Il y a tant de sortes d’amour qu’on ne sait à qui s’adresser pour le définir

Il y a tant de sortes d’amour qu’on ne sait à qui s’adresser pour le définir. On nomme hardiment amour un caprice de quelques jours, une liaison sans attachement, un sentiment sans estime, des simagrées de sigisbée, une froide habitude, une fantaisie romanesque, un goût suivi d’un prompt dégoût : on donne ce nom à mille chimères.

Il y a même des animaux qui ne connaissent point la jouissance. Les poissons écaillés sont privés de cette douceur : la femelle jette sur la vase des millions d’œufs ; le mâle qui les rencontre passe sur eux, et les féconde par sa semence, sans se mettre en peine à quelle femelle ils appartiennent.
La plupart des animaux qui s’accouplent ne goûtent de plaisir que par un seul sens ; et dès que cet appétit est satisfait, tout est éteint. Aucun animal, hors toi, ne connaît les embrassements : tout ton corps est sensible ; tes lèvres surtout jouissent d’une volupté que rien ne lasse ; et ce plaisir n’appartient qu’à ton espèce ; enfin tu peux dans tous les temps te livrer à l’amour, et les animaux n’ont qu’un temps marqué.

Comme les hommes ont reçu le don de perfectionner tout ce que la nature leur accorde, ils ont perfectionné l’amour. La propreté, le soin de soi-même, en rendant la peau plus délicate, augmentent le plaisir du tact ; et l’attention sur sa santé rend les organes de la volupté plus sensibles. Tous les autres sentiments entrent ensuite dans celui de l’amour, comme des métaux qui s’amalgament avec l’or : l’amitié, l’estime, viennent au secours ; les talents du corps et de l’esprit sont encore de nouvelles chaînes.
Voilà ce que tu as au-dessus des animaux ; mais si tu goûtes tant de plaisirs qu’ils ignorent, que de cha- grins aussi dont les bêtes n’ont point d’idée ! Ce qu’il y a d’affreux pour toi, c’est que la nature a empoisonné dans les trois quarts de la terre les plaisirs de l’amour et les sources de la vie par une maladie épouvantable (la syphilis) à laquelle l’homme seul est sujet, et qui n’infecte que chez lui les organes de la génération.

Si jamais on a pu accuser la nature de mépriser son ouvrage, de contredire son plan, d’agir contre ses vues, c’est dans ce fléau détestable qui a souillé la terre d’horreur et de turpitude. Est-ce là le meilleur des mondes possibles ?

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