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Le Blog de Voltaire

Punissez, mais ne punissez pas aveuglément. Punissez, mais utilement.

Dans presque tous les pays catholiques, qu’on vole un calice, un ciboire, ce qu’on appelle un soleil, la peine ordinaire est d’être brûlé, nous disent les Instituts au droit criminel de France.

On n’examine pas si, dans un temps de famine, un père de famille aura dérobé ces ornements pour nourrir sa famille mourante, si le coupable a voulu outrager Dieu, si on peut l’outrager, si un ciboire lui est nécessaire, si le voleur a su ce que c’est qu’un ciboire, si ce ciboire d’argent doré n’était pas abandonné par négligence, ce qui diminuerait le délit. Le sacristain qui a fait cette loi a-t-il bien songé qu’un homme brûlé vif ne peut plus se repentir et réparer ses fautes ?
On a pendu à Londres, cette année 1777, le plus fameux prédicateur d’Angleterre, nommé Dodd ; et non seulement grand prédicateur, mais directeur des consciences les plus timorées ; et non seulement directeur des consciences, mais promoteur des établissements les plus charitables. Il était convaincu d’avoir volé trois mille livres sterling par un crime de faux, en contrefaisant la signature du jeune comte de Chester- field, dont il était le chapelain et le pensionnaire. On prétend que plus de vingt mille citoyens ont en vain demandé sa grâce, et que le gouvernement s’est cru obligé de la refuser parce que le crime de faux était trop commun chez cette nation guerrière et mar- chande. Toutes les dévotes du chapelain Dodd ont pleuré en le voyant pendre, et il a édifié tous les spectateurs. Il est certain que son châtiment eût été plus exemplaire et plus utile si on l’avait vu pendant une ou deux années, une chaîne au cou, nettoyer de ses mains sacerdotales le milieu très sale des rues de Londres, et si on l’eût envoyé ensuite préparer la morue dans l’île de Terre-Neuve, qui a besoin de manœuvres.
Il aurait prêché à son aise les dévotes de ces quartiers ; il aurait civilisé les mercenaires de l’île et les sauvages ; il s’y serait marié ; il aurait eu des enfants, qu’il aurait élevés dans la crainte de Dieu et dans l’amour du prochain.
En Allemagne et en France, on fait expirer sur la roue, sans distinction, ceux qui ont commis des vols sur le grand chemin et ceux qui ont joint le meurtre à la rapine. Comment n’a-t-on pas vu que c’était avertir ces brigands d’être assassins, afin d’exterminer les objets et les témoins de leurs crimes ? En Angleterre, les voleurs sont très rarement meurtriers, parce qu’ils ne sont pas forcés au meurtre par une loi qui n’aurait pas assez distingué la rapine et l’assassinat.
Punissez, mais ne punissez pas aveuglément. Punissez, mais utilement. Si on a peint la justice avec un bandeau sur les yeux, il faut que la raison soit son guide.

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