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Le Blog de Voltaire

Le cul ! Comme il est triste qu’en fait de langue, ce soit la populace qui dirige les premiers d’une nation

Il est indigne d’une langue aussi polie et aussi universelle que le français d’employer si souvent un mot déshonnête et ridicule, pour signifier des choses communes qu’on pourrait exprimer autrement sans le moindre embarras.

Pourquoi nommer cul-d’âne et cul-de-cheval des orties de mer ? pourquoi donc donner le nom de cul-blanc à l’œnante, et de cul-rouge à l’épeiche ? Cette épeiche est une espèce de pivert, et l’œnante une espèce de moi- neau cendré. Il y a un oiseau qu’on nomme fétu-en-cul ou paille-en-cul ; on avait cent manières de le désigner d’une expression beaucoup plus précise. N’est-il pas impertinent d’appeler cul-de-vaisseau le fond de la poupe ?

On se sert continuellement du mot cul-de-lampe pour exprimer un fleuron, un petit cartouche, un pendentif, un encorbellement, une base de pyramide, un placard, une vignette.

Un graveur se sera imaginé que cet ornement ressemble à la base d’une lampe ; il l’aura nommé cul-de-lampe pour avoir plus tôt fait ; et les acheteurs auront répété ce mot après lui. C’est ainsi que les langues se forment. Ce sont les artisans qui ont nommé leurs ouvrages et leurs instruments.

Le fond d’un artichaut est formé et creusé en ligne courbe, et le nom de cul ne lui convient en aucune manière. Le haut d’un chapeau est un cul-de-chapeau. Il y a des boutons à compartiments, qu’on appelle boutons à cul-de-dé.

Comment a-t-on pu donner le nom de cul-de-sac à l’angiportus des Romains ? Les Italiens ont pris le nom d’angiporto pour signifier strada senza uscita. On lui donnait autrefois chez nous le nom d’impasse, qui est expressif et sonore. C’est une grossièreté énorme que le mot de cul-de-sac ait prévalu.

Il est triste qu’en fait de langue, comme en d’autres usages plus importants, ce soit la populace qui dirige les premiers d’une nation.

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